Pourquoi avoir donné le nom KUMBAKA ?
Kumbhaka avec un H, signifie «rétention d'air» en sanskrit, apnée.
Ce mot sanskrit dérive de kumbha qui désigne « une cruche, un vase, une petite jarre ». Dans le contexte du pranayama, les poumons et par extension tout le corps, sont considérés comme un contenant que l’on peut remplir et vider. De la sorte, l’air inspiré et retenu permet à l’énergie vitale (prana) de « remplir la jarre » du corps et l’expiration, maintenue, de la vider de ses résidus.
La suspension du souffle peut être soit après l’inspir (antar kumbhaka), soit après l’expir (bahir kumbhaka).
Elle se présente sous deux formes: sahita kumbhaka, qui signifie rétention délibérée du souffle, ou kevala kumbhaka, où la suspension du souffle survient automatiquement.
Kumbhaka peut aussi désigner la suspension du souffle à n’importe quel stade du cycle respiratoire. (Extrait du précieux livre Prana, Pranayama, Prana Vidya, de Swami Niranjanananda Saraswati).
La rétention du souffle se présente donc sous deux formes.
La première est une rétention volontaire, délibérée, qui nécessite un effort conscient. On parle de sahita kumbhaka car cette respiration est « accompagnée » (sahita), en ce sens qu’elle est précédée d’une inspiration ou d’une expiration complète.
La seconde forme fait référence à une suspension du souffle non volontaire, qui survient automatiquement sans raison apparente. Elle s’accompagne d’une cessation du flux mental et de l’activité pranique. On l’appelle kevala kumbhaka car elle est « isolée » (kevala).
De cette immobilité du geste respiratoire non volontaire (isolée), naît une sorte de « respiration intérieure » qui d’ailleurs n’est pas sans faire écho à ce que les maîtres chinois du taoïsme désignent par la « respiration embryonnaire ». A ce stade, le souffle peut être suspendu des jours d’affilée. Pour curieux que cela puisse paraître, on a vu des yogis se faire enterrer et demeurer ainsi plusieurs jours, toutes fonctions vitales semblant éteintes, dans un état proche de l’hibernation.
Au regard de la physiologie yogique, cette respiration intérieure est expliquée par le fait que le prana porté par le souffle ne passe plus par les narines et les deux canaux latéraux (ida et pingala) mais chemine plutôt par le canal central (soushoumna). Les fonctions vitales n’opèrent ainsi plus en mode duel mais plutôt en parfaite symbiose. A ce propos, le Hatha-Yoga-Pradîpikâ dit « Une fois que le Yogi est devenu expert dans la rétention du souffle (kevala kumbhaka), sans inspiration ni expiration, il n’existe pour lui plus aucune chose difficile à obtenir dans les trois mondes. Celui qui est capable de retenir son souffle autant qu’il le désire, atteint le stade du Râja-Yoga, il n’y a aucun doute. C’est par la rétention du souffle qu’a lieu l’éveil de Kundalini, et grâce au réveil de Kundalini, Soushoumna est débarrassée de ce qui l’obstruait et le succès est atteint. » (2, 73-75).
Cet état de suspension du souffle signe la chute de tout sens de l’attachement, de l’appartenance et de la dépendance vis à vis des choses, des personnes, des situations ou des circonstances. C’est vraiment la mort du « Je » et du « Moi ». C’est réaliser au niveau du souffle ce que Vimala Thakar* appelle « l’art de mourir pendant qu’on est vivant ».
Pendant kumbhaka, les niveaux d’oxygène baissent dans le corps et les niveaux de gaz carbonique augmentent. Le rythme de ce processus dépend de l’accélération de notre métabolisme et de notre niveau de détente ou de tension. Le principale effet de kumbhaka est d’entraîner le système nerveux à tolérer des niveaux plus élevé de gaz carbonique dans le corps, avant que des signaux ne nous obligent à modifier notre respiration. Ceci peut paraître contradictoire, si l’on ne voit dans le pranayama qu’une simple méthode de respiration efficace. Cependant, le but principal du pranayama est de maîtriser le prana et le système nerveux central.Il faut ajouter que des niveaux élevés de gaz carbonique dans le sang peuvent induire des états de conscience modifiés et des sentiments d’expansion, puis lors d’état extrêmes, la désorientation et l’hallucination. Dans le cerveau, gisent à l’état latent quantité de capillaires sanguins qui attendent un afflux sanguin supplémentaire. Des taux accrus de gaz carbonique exercent un effet de dilatation sur les capillaires cérébraux qui, s’ouvrant en plus grand nombre, améliorent la circulation cérébrale. Notons que cet effet, positif jusqu’à un certain niveau optimal, devient nettement négatif si on l’outrepasse. En conséquence, on insiste toujours sur le fait que la pratique de kumbhaka doit être absolument menée sous la conduite d’un professeur expérimenté. Les niveaux métaboliques et l’activité cérébrale doivent être ajustés pour produire des conditions optimales; c’est à cette seule condition que kumbhaka devient positif.
Dans le yoga, les suspensions de la respiration font donc partie des techniques de Pranayama.
Suspendre son souffle c’est se tourner plus facilement vers soi. Vers l’intérieur.
Dans la philosophie du yoga, ainsi, tout le but des pratiques respiratoires serait d’accroître la durée de la rétention, de ce moment durant lequel le pratiquant échappe à la dualité fondamentale de l’être humain qui s’exprime à merveille dans cet incessant va-et-vient de l’inspiration et de l’expiration.
Pour Patanjali en particulier la rétention du souffle (non volontaire) serait l’équivalent de l’état de samadhi, l’état proprement indescriptible du « délivré vivant » (jivan-mukta).